Fabulations féministes au cinéma
Professeure : Émilie Notéris
Option : Art
Semestres : 1 et 2
Type de cours : séminaire
Spécialité du cours : Cours pratique et théorique
Présentation
Dans bien des situations, la qualification de fable tient essentiellement lieu de disqualification. La fiction serait mensongère alors que l’examen objectif des faits préserverait la vérité de la souillure des affects, des sentiments, des impressions, ou autres intuitions. Parler de fable reviendrait alors à rétrograder, à faire glisser discrètement dans les ornières, certaines idées tractées par les pauvres, ou les minorités, afin de laisser passer en grandes pompes le carrosse des puissants que l’on caractérisera préférablement de récit. Autre nom de code d’un mode de prescription (non-sollicitée), posologie arbitraire d’une vérité unifiée autant que simplificatrice. À contre-courant de cette disqualification, le philosophe Gilles Deleuze, préconisait, dans L’Image-temps, le recours à la fabulation pour faire émerger des contre-récits : « Ce qui s’oppose à la fiction, ce n’est pas le réel, ce n’est pas la vérité qui est toujours celle des maîtres ou des colonisateurs, c’est la fonction fabulatrice des pauvres, en tant qu’elle donne au faux la puissance qui en fait une mémoire, une légende, un monstre. [...] Ce que le cinéma doit saisir, ce n’est pas l’identité d’un personnage, réel ou fictif, à travers ses aspects objectifs et subjectifs.
C’est le devenir du personnage réel quand il se met lui-même à "fictionner", quand il entre "en flagrant délit de légender" et contribue ainsi à l’invention de son peuple. Le personnage n’est pas séparable d’un avant et d’un après, mais qu’il réunit dans le passage d’un état à l’autre. Il devient lui-même un autre, quand il se met à fabuler sans jamais être fictif. Et le cinéaste de son côté devient un autre quand il "s’intercède" ainsi des personnages réels qui remplacent en bloc ses propres fictions par leurs propres fabulations »
Objectifs pédagogiques
Familiarisation avec la recherche, compréhension du rôle de l’imaginaire dans la structuration des sociétés.
Contenu du cours et méthode
Cette enquête que nous mènerons ensemble visera donc à mieux comprendre les méthodes ou projets cinématographiques autorisant à trianguler ou à géolocaliser à travers les couches successives du temps des pratiques qui ainsi rassemblées donnent visage à une existence minorée et simultanément contribuent à inventer un peuple. Il s’agira d’activer la « fonction fabulatrice des pauvres », des laissé·é·s pour compte, des vies infâmes, parallèles ou rebelles.
Modalités d'évaluation
L’évaluation se fera sur la base de la participation, de la présence et de l’engagement sans obligation de résultat particulier attendu.
Bibliographie
- Laura Poitras, Toute la beauté et le sang versé, 2022
 - Alice Diop, Saint Omer, 2022
 - Mona Achache, Little girl blue, 2023
 - Lina Soualem, Bye Bye Tibériade, 2023
 - Mati Diop, Dahomey, 2024
 - Gilles Deleuze, L’Image-Temps, Cinéma II, Chapitre VI « les puissances du faux », Éditons de Minuit, 1985
 - Michel Foucault, « La vie des hommes infâmes », Les Cahiers du chemin, n°29, 15 janvier 1977
 - Michel Foucault, Herculine Barbin dite Alexina B., Gallimard, 1978
 - Saidiya Hartman, Vies rebelles, Histoires intimes de filles noires en révolte, de radicales queers et de femmes dangereuses, 2024.